Nous avons à traverser, modernes argonautes, une zone de de dangers, de vagues et d’écueils inconnus.
Sur d’anciennes cartes, elle eût pu être nommée « mer de la pandémie ».
Chères amies et chers amis adhérents,
Nous avons à traverser, modernes argonautes, une zone de de dangers, de vagues et d’écueils inconnus.
Sur d’anciennes cartes, elle eût pu être nommée « mer de la pandémie ». Et donc, soyons sur nos gardes : sur la lune, l’Océan des Tempêtes est la plus grande des « mers » lunaires.
Mais n’ayons pas peur. Nous avons à lui opposer nos forces humaines, si humaines, mais aussi si puissantes.
Le feu d’artifice de vœux croisés que nous échangeons entre nous en ce début d’année, dans nos familles, avec nos amis montre à quel point nous croyons que l’amour, l’amitié et l’espoir sont des forces capables de conjurer l’adversité, et cela fait chaud au cœur.
Mieux pourvus que nos ancêtres navigateurs, nous savons que nous pouvons ajouter à ces forces humaines celles que nous procure le partage de la culture et de l’art. L’art, cet anti-destin selon Malraux.
Notre association Bienvenue à Sceaux nous aide et nous guide dans l’accès à ces trésors que nous partageons ensemble sans retenue.
Je souhaite que, cette année encore, l’amitié et le partage culturel soient nos phares.
Aussi bien les phares qui éclairent le chemin, que le phare qui guide le marin.
Mais aussi « le Phare » du poème éponyme de Baudelaire, qui nous propose une éblouissante liste de phares culturels, de Rubens à Delacroix, en passant par Rembrandt, Léonard, Michel-Ange, Watteau…
Je forme le vœu que ces forces que sont l’amitié, la culture et le partage nous guident sans faiblir au long de l’année qui commence.
Le flot croissant d’informations qui nous submerge ne fait que nourrir le pessimisme et conduit à la défaite de la rationalité. Découvrir jour après jour que le roi est nu est accablant. Avec la Gazette, je souhaite ouvrir un espace différent où « l’ici et maintenant » peut coexister avec un monde culturel ouvert dans le temps et dans l’espace.
Un peu comme si, dans une partie de jeu de GO, je vous proposais d’ouvrir une parenthèse et de jouer, l’espace d’un instant, une autre partie sur un nouveau damier dépourvu des contingences du premier.
Depuis Nietzsche, nous savons que nous avons l’art pour éviter de périr de la vérité. Cette maxime- « Wir haben die Kunst, damit wir nicht an der Wahrheit zugrunde gehen“ -est inscrite à la base de la coupole de la glyptothèque de Munich. Peut-être un prochain voyage ?
Définitivement, l’art et la culture sont notre meilleur remède pour tenir. Alors tenons bon, chers amis. La culture, elle est en nous-même, elle nous aide, elle nous guide, elle ne nous abandonnera pas. Les moyens pour l’enrichir sont accessibles dans les bibliothèques et aussi sur internet. Les moyens d’en jouir, les musées, les conférences nous seront bientôt rendus. Nous n’aurons pas à vivre l’aventure de « Farenheit 451 ».
À la suite de la Gazette n°18, je vais vous proposer, par un cheminement compliqué, de changer et d’époque et de lieu, mais toujours en Italie, pour une rencontre picturale exceptionnelle. Les caprices de la pleine lune promènent la date de Pâques dans le calendrier, elle peut se situer très tôt dans l’année. Il arrive qu’il soit nécessaire de déplacer la date -fixe-de la célébration de l’Annonciation, afin qu’elle ne se trouve pas dans le temps pascal. Ce n’était pas le cas cette année, mais de peu, et c’est cette conjonction qui m’a incité à vous proposer ce voyage imaginaire vers la Sicile, avec l’Annonciation pour thème.
Le tableau exceptionnel que je veux vous montrer là-bas est à la fois une évocation du mystère de l’Annonciation, et un portrait, domaine qui m’est cher. J’oserais dire que ce tableau « vaut à lui seul le voyage », selon la formule désuète et consacrée du guide Michelin
En peinture, les sujets traités depuis l’antiquité sont statistiquement dominés par la mythologie et par la religion. La peinture d’histoire, les genres mineurs comme le portrait, les paysages, les scènes de genre, les natures mortes viennent après. Or, parmi les sujets religieux, l’Annonciation tient une place de choix. Elle a été représentée un nombre incalculable de fois selon une iconographie complexe, avec une grammaire et un vocabulaire regorgeant de symboles, , culminant dans la richesse et peut-être même le foisonnement, à la Renaissance italienne. On doit par exemple y trouver : l’Ange Gabriel à genoux, la colonne séparant le sacré du profane, le souffle du Saint-Esprit descendant sur la Vierge, la colombe, etc… Notre tableau concerne l’Annonciation, mais il ne montre rien de tout cela, et pourtant nous sommes au début de la Renaissance, au XVème siècle en Sicile, en plein Quattrocento, pour les grincheux qui renieraient les chiffres romains. Le peintre s’appelle Antonnello da Messina. Sa vie s’inscrit entièrement dans ce XVème siècle, entre Sicile et Campanie, avec quelques incursions à Urbino et Venise, notamment.
Son œuvre se partage entre des tableaux religieux de commande et des portraits, Autant les premiers sont de facture très (trop ?) classique, autant ses portraits témoignent d’une recherche personnelle très originale. Ces portraits montrent tous le même souci de donner à voir la psychologie des personnages à travers leurs émotions. C’est ce que voudrait réussir tout portraitiste, mais peu y parviennent. On dirait que ce n’est pas la même personne qui a produit toutes ces œuvres. Très visiblement, Antonnello prenait du plaisir dans la peinture de portrait. Le tableau est intitulé : « Annunciata di Palermo », que l’on peut traduire par : « l’Annoncée de Palerme », et non, comme on voit souvent, l’Annonciation de Palerme, qui se dirait « Annunciazione di Palermo ». Ce n’est pas la scène de l’Annonciation qui est montrée, qui eût nécessité de représenter au moins l’Ange Gabriel, mais un portrait : celui de la Vierge Marie au moment où lui est annoncé qu’elle a été choisie, conformément à l’Évangile de Saint-Luc.
On voit une jeune femme surprise dans sa lecture par un évènement dont rien n’est montré. Cet évènement n’est pas effrayant, nulle trace de crainte ne se lit sur son visage. Seul le déplacement d’une page du livre peut évoquer le souffle produit par l’atterrissage de l’ange. De sa main gauche, elle referme sur elle les pans de son voile bleu, signe, bien sûr, de pureté. L’expression est complexe : la surprise d’avoir été choisie s’y lit encore, en même temps que la sérénité et l’amorce d’un sourire retenu montrent la joie de ce qui va advenir.
Le regard semble baissé, ce fut ma première impression, lors de ma première visite, et c’était une erreur : en réalité, le regard est dirigé avec franchise et fermeté vers l’Ange Gabriel qui est agenouillé devant elle. La main droite légèrement levée marque l’acceptation, et dès ce moment, la conception est accomplie. L’annonce, l’acceptation et la conception sont des instants consécutifs et quasi-simultanés : la feuille du livre n’est pas encore retombée.
C’est ici que prend tout son sens la maxime que Marcel Duchamp énonçait en 1960 : « Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste. » En effet, ce tableau ne donne la clé du mystère représenté que si nous prenons conscience que nous, les regardeurs, sommes debout face à la Vierge, laquelle regarde l’Ange Gabriel agenouillé à notre gauche. C’est ce qu’avait calculé Antonnello da Messina en composant ce tableau en 1475. En ce sens, ce tableau est un tableau abstrait : il ne prend sens que si quelqu’un le regarde (et le comprend).
Cette merveille est à Palerme, tableau vedette de la Galerie Régionale de Sicile, dans le petit palais Abbatellis. C’est le plus beau tableau de Sicile.
Pour les précisions techniques : le tableau a été ébauché à la tempera (à l’œuf), poursuivi à l’huile sur un panneau de bois. Antonnello da Messina est connu pour avoir introduit l’ajout de litharge (oxyde de plomb) à l’huile, ce qui en améliore la siccativité et facilite donc considérablement les superpositions de couches picturales (technique des glacis).
Pour accompagner un repos méditatif après cette évocation, je vous propose d’écouter la Nocturne opus 9 en mi bémol majeur de Frédéric Chopin.
Le tempo juste, l’accompagnement à sa juste place, le toucher délicat, c’est Daniel Barenboim au sommet de son art.
Nocturne opus 9 en mi bémol majeur de Frédéric Chopin